
La fintech française connaît depuis 10 ans un développement soutenu qui a fait d’elle le premier écosystème de l’UE. Quelles en sont les recettes, les limites et les perspectives ? Elle évolue dans une France et une Europe elles-mêmes dans une situation singulière à maintes égards.
A l’occasion de FinTech R:Evolution 2025, dans sa keynote d'ouverture, Alain Clot, Président de France FinTech fait le bilan et présente les perspectives du secteur.
Bonjour et bienvenue mes amis,
FinTech R:Evolution est devenu, année après année, une formidable opportunité de réfléchir ensemble, de rapprocher des acteurs de toute nature, petits et grands, de stimuler le développement, et surtout, de se voir et de se parler. Mais cette édition n’est pas tout à fait comme les autres. C’est celle du dixième anniversaire de cet événement et celui de notre association.
Nous étions en 2015 une dizaine à ce déjeuner à Bastille, puis 35 entrepreneurs pour lancer France FinTech. Nos fintech étaient certes déjà talentueuses, mais petites et isolées : « une forêt de bonsaïs » disaient les persifleurs ; « une sympathique bande de nains de jardin» disaient les cyniques.
Aujourd’hui, France FinTech compte 350 fintech membres, 80 partenaires de toutes sortes, que je remercie.
J’exprime ce matin tout particulièrement notre reconnaissance à nos partenaires de ce FinTech R:Evolution 2025.
J’en profite pour exprimer également notre solidarité aux familles de nos camarades entrepreneurs de la crypto, cibles d’agressions criminelles depuis plusieurs mois.
France FinTech est aujourd’hui la première association sectorielle du numérique en France, mais surtout, notre écosystème a montré ce dont il était capable.
Plus de mille entreprises ont été créées, générant 50 000 emplois qualifiés. Nous comptons déjà 14 licornes, ainsi que plusieurs dizaines scale-up prometteuses. L’écosystème est très diversifié, avec des graines de champions dans tous les grands domaines et des leaders dans chaque segment : assurance, services bancaires, paiement, financement, conformité, Web3, etc.
Nous sommes le premier écosystème de l’Union européenne, devant nos camarades allemands, et le deuxième de l’Europe géographique derrière nos amis britanniques. Nous sommes aussi le premier compartiment de la tech française avec un peu moins du tiers de l’indice Next 40, 20% du FT120 et 26% du Sifted 50 France. Déjà un tiers de nos fintech sont présentes à l’étranger.
Nos fintech sont viables. 34 % ont atteint ou dépassé le point mort, alors que presque la moitié ont moins de 5 ans de vie. Le point mort des nouveaux venus est atteint de plus en plus rapidement.
Au-delà de ces chiffres bruts, j’aimerais insister sur quelques aspects qualitatifs auxquels nous tenons fort.
● Nous contribuons à améliorer le quotidien des Français (et de plus en plus des Européens), que ce soit des particuliers, des entreprises, des collectivités territoriales et publiques, des investisseurs..
● Nous offrons des solutions innovantes au juste prix.
● Nous finançons l’économie réelle, de plus en plus.
● Nous contribuons à l’inclusion financière et à l’éducation financière.
● Nous sommes des acteurs engagés dans l’impact et le développement durable.
● Nous aidons au respect des réglementations et renforçons la sécurité.
● Nous contribuons à l’effort de défense de notre pays
● Nous valorisons les territoires en soutenant les initiatives régionales, notamment à travers les French FinTech Weeks, organisées avec l’ACPR et l’AMF.
● Notre philosophie est celle de la coopération, du partenariat et des synergies croisées, notamment avec les grands établissements financiers (banques, assureurs et gérants d’actifs), dont je salue ici l’ouverture d’esprit depuis le début. Nous avons ensemble conclu plusieurs milliers de partenariats de production (risques, lutte anti-blanchiment, connaissance client, tarification, etc) et de distribution, via des ventes croisées.
● Nous coopérons avec nos associations soeurs, dont France Digitale, AFEPAME, ADAN, OCBF pour n’en citer que quelques-unes, et développons des coopérations européennes propres à notre ADN européen. J’en profite pour saluer nos camarades des délégations de l’EDFA, présents à Paris pour la tenue de son bureau, ainsi que les représentants de la Commission et de la supervision européenne.
Voici en quelques mots le bilan de 10 ans de travail acharné.
Vous pouvez en être fiers. Il semble bien y avoir une French Touch, ici comme ailleurs…
Comment nous situons-nous en ce printemps 2025 ?
À fin avril, nous avions déjà levé presque un demi milliard (450 M€) de fonds propres (contre 1,3 Md€ pour la totalité de 2024).
À noter le poids croissant des investisseurs américains (20%), l’arrivée des investisseurs asiatiques (chinois), visiblement stimulés par les nouvelles venues des Etats-Unis…
On observe également la montée des family offices et des grands business angels, notamment des entrepreneurs qui ré-investissent après un exit.
Un point essentiel mérite d’être souligné : si l’indicateur des levées de fonds demeure central – véritable nerf de la guerre – il ne suffit plus, à lui seul, à refléter pleinement la réalité de notre développement et, ce, pour deux raisons principales :
Un nombre significatif d’acteurs de notre écosystème s’approchent du cap de la cotation.
Dès 2015, Gabriel avait ouvert la voie avec l’introduction de HiPay.
Plus récemment, Geoffroy et Charles ont suivi cette dynamique avec Younited, introduite en bourse à la fin de l’année dernière.
Il est essentiel que nos grands acteurs n’aient plus besoin de s’exiler aux États-Unis à partir d’un certain stade, comme certains ont pu le faire par le passé (Kyriba, iValua, Dataiku) et que l’écosystème permette d’accompagner le développement de nos champions.
Est-ce à dire que nous sommes arrivés et que le ciel est tout bleu ? Pas tout à fait…
Nous disposons certes déjà de 14 licornes et au delà, mais encore aucun géant de la taille de Revolut, N26, Klarna ou Stripe; nous sommes en bonne voie, mais il ne faut pas tergiverser, car les cartes se redistribuent rapidement. La concentration s’accélère et les Big Tech ne vont pas tarder à revenir dans les modèles financiers …
Nous avons à l’évidence bénéficié ces dernières années d’une prime d’attractivité accordée à la France (nous y avons d’ailleurs me semble-t-il contribué). Mais celle-ci elle a bien fondu depuis un an du fait d’un climat politique et financier délétère. Comme vous le savez, les investisseurs détestent plus que tout l’incertitude et la créativité fiscale. Or, la France tent à redevenir un vaste concours Lépine de l’impôt improbable et de la norme intrusive…
Notre tendance française et européenne à sur-réglementer et sur-normer fait planer une menace sur notre secteur. Alors que la réglementation européenne est déjà la plus contraignante du monde, la France tend à la renforcer encore en sur-transposant et sur-interprétant. Ne nous méprenons pas : nous sommes convaincus que la réglementation est indispensable. Elle peut même être un atout si elle est bien pensée. Mais elle est aussi un formidable outil de concurrence, notamment en matière de localisation. L’arbitrage et le dumping réglementaire font rage dans le monde, et même au sein de l’Union européenne.
À ce sujet, nous réitérons notre invitation au dialogue avec nos amis assureurs au sujet du dossier réglementaire du moment, FIDA, brique essentielle de l’Open finance. Nous avons déjà tenu une session de travail avec nos camarades de France Assureurs pour trouver une position de place commune et des aménagements raisonnables. Nous échangeons déjà avec l’AMF, l’ACPR, la DG Trésor, la DG Fisma. Ne lâchons pas l’affaire, car le temps presse face à la pression des géants anglo-saxons de la tech. Jouons collectif.
Nous rencontrons les plus grandes difficultés à financer des tickets de plus de 100 M€ avec des investisseurs locaux, ce qui explique que la part étrangère du capital de nos champions croît avec leur taille. La cotation en bourse est rendue plus complexe pour les mêmes raisons. Tant que la France ne se résoudra pas à comprendre qu’il est urgent de créer des fonds de capitalisation, nous serons contraints de solliciter des investisseurs venus de loin, ce qui pose à la longue un sujet de souveraineté si cela devient l’unique source.
Cette capitalisation est nécessaire pour financer les entreprises, mais aussi pour valoriser l’épargne des Français (qui est l’une des plus fortes en Europe et pourrait être mieux rémunérée) et protéger leur retraite. Les Français l’ont d’ailleurs bien compris, qui recourent massivement à l’assurance-vie (dont insuffisamment finance l’innovation) et l’immobilier. Et je ne parle même pas du financement de la dette publique. Cette exception française nous fait encourir un véritable danger. Nous ne devons pas fabriquer des champions pour offrir à des investisseurs lointains l’option de les acheter pas cher (car nos valorisations sont nettement plus basses que celles des anglo-saxons).
Le marché de l’emploi, notamment en technologie, peine à fournir nos besoins.
Enfin, les récentes mises en cause des dispositifs de soutien à l’innovation mettent en risque nos entreprises.
Résumons-nous :
L’IA est en effet entrain de changer le monde.
Elle aura une incidence toute particulière sur les services financiers car la finance, c’est avant tout de la donnée, du calcul, des prévisions et du conseil, toutes fonctionnalités sur lesquelles cette technologie excelle.
Nous n’en sommes qu’au tout début :
Nous devons y veiller.
Tous les défis que j’ai évoqués ne sont pas spécifiques à la fintech. Ils concernent toute la tech française et toutes les entreprises innovantes.
De ce point de vue, on peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein, c’est selon son tempérament.
Pour ma part, j’aimerais attirer votre attention sur un aspect important, essentiel même.
Nos atouts sont nombreux et profonds :
Nos principales faiblesses, et elles sont très invalidantes, sont le financement des gros tickets, les flottements politiques et la trop lente mobilisation de nos ressources.
Permettez-moi de reformuler tout cela d’une autre façon :
Ils prennent une cinquantaine d’années au moins à construire. Ils constituent une formidable barrière à l’entrée, une condition nécessaire, impérative même, mais pas suffisante.
En un mot, de vision et de courage. Ce n’est pas rien, et cela nous a souvent fait défaut. Mais cela peut être mobilisé en quelques mois.
Les deux moitiés du verre ne sont donc pas de même nature et de même difficulté.
Je suis de ceux, sans doute incorrigiblement optimiste, qui considèrent que la formidable déstabilisation introduite par l’élection américaine et le grand désordre du monde constituent une formidable opportunité pour la France et l’Europe.
Ce gigantesque wake-up call doit être mis à profit.
L’Europe offre un cadre exceptionnel de compétences, de stabilité, d’éthique, de valeurs, unique au monde. La prochaine étape, je l’espère, sera l’Union des marchés de capitaux.
La fintech française veut prendre sa part. Elle est légitime, talentueuse, responsable, reconnue.
Cessons de nous lamenter, de douter, et accélérons.
Conscients de ce qu’il nous reste à faire, de ce qui est important, mais aussi du formidable travail accompli et de notre magnifique potentiel.
Ensemble, unis.
United !
Bon anniversaire la fintech française !
Lire aussi l'interview exclusive d'Alain Clot pour Planet Fintech :
« En 2025, les fintech françaises et européennes feront face à un véritable choc réglementaire »
A l’occasion de FinTech R:Evolution 2025, dans sa keynote d'ouverture, Alain Clot, Président de France FinTech fait le bilan et présente les perspectives du secteur.
Bonjour et bienvenue mes amis,
FinTech R:Evolution est devenu, année après année, une formidable opportunité de réfléchir ensemble, de rapprocher des acteurs de toute nature, petits et grands, de stimuler le développement, et surtout, de se voir et de se parler. Mais cette édition n’est pas tout à fait comme les autres. C’est celle du dixième anniversaire de cet événement et celui de notre association.
Nous étions en 2015 une dizaine à ce déjeuner à Bastille, puis 35 entrepreneurs pour lancer France FinTech. Nos fintech étaient certes déjà talentueuses, mais petites et isolées : « une forêt de bonsaïs » disaient les persifleurs ; « une sympathique bande de nains de jardin» disaient les cyniques.
Aujourd’hui, France FinTech compte 350 fintech membres, 80 partenaires de toutes sortes, que je remercie.
J’exprime ce matin tout particulièrement notre reconnaissance à nos partenaires de ce FinTech R:Evolution 2025.
J’en profite pour exprimer également notre solidarité aux familles de nos camarades entrepreneurs de la crypto, cibles d’agressions criminelles depuis plusieurs mois.
France FinTech est aujourd’hui la première association sectorielle du numérique en France, mais surtout, notre écosystème a montré ce dont il était capable.
Plus de mille entreprises ont été créées, générant 50 000 emplois qualifiés. Nous comptons déjà 14 licornes, ainsi que plusieurs dizaines scale-up prometteuses. L’écosystème est très diversifié, avec des graines de champions dans tous les grands domaines et des leaders dans chaque segment : assurance, services bancaires, paiement, financement, conformité, Web3, etc.
Nous sommes le premier écosystème de l’Union européenne, devant nos camarades allemands, et le deuxième de l’Europe géographique derrière nos amis britanniques. Nous sommes aussi le premier compartiment de la tech française avec un peu moins du tiers de l’indice Next 40, 20% du FT120 et 26% du Sifted 50 France. Déjà un tiers de nos fintech sont présentes à l’étranger.
Nos fintech sont viables. 34 % ont atteint ou dépassé le point mort, alors que presque la moitié ont moins de 5 ans de vie. Le point mort des nouveaux venus est atteint de plus en plus rapidement.
Au-delà de ces chiffres bruts, j’aimerais insister sur quelques aspects qualitatifs auxquels nous tenons fort.
● Nous contribuons à améliorer le quotidien des Français (et de plus en plus des Européens), que ce soit des particuliers, des entreprises, des collectivités territoriales et publiques, des investisseurs..
● Nous offrons des solutions innovantes au juste prix.
● Nous finançons l’économie réelle, de plus en plus.
● Nous contribuons à l’inclusion financière et à l’éducation financière.
● Nous sommes des acteurs engagés dans l’impact et le développement durable.
● Nous aidons au respect des réglementations et renforçons la sécurité.
● Nous contribuons à l’effort de défense de notre pays
● Nous valorisons les territoires en soutenant les initiatives régionales, notamment à travers les French FinTech Weeks, organisées avec l’ACPR et l’AMF.
● Notre philosophie est celle de la coopération, du partenariat et des synergies croisées, notamment avec les grands établissements financiers (banques, assureurs et gérants d’actifs), dont je salue ici l’ouverture d’esprit depuis le début. Nous avons ensemble conclu plusieurs milliers de partenariats de production (risques, lutte anti-blanchiment, connaissance client, tarification, etc) et de distribution, via des ventes croisées.
● Nous coopérons avec nos associations soeurs, dont France Digitale, AFEPAME, ADAN, OCBF pour n’en citer que quelques-unes, et développons des coopérations européennes propres à notre ADN européen. J’en profite pour saluer nos camarades des délégations de l’EDFA, présents à Paris pour la tenue de son bureau, ainsi que les représentants de la Commission et de la supervision européenne.
Voici en quelques mots le bilan de 10 ans de travail acharné.
Vous pouvez en être fiers. Il semble bien y avoir une French Touch, ici comme ailleurs…
Comment nous situons-nous en ce printemps 2025 ?
À fin avril, nous avions déjà levé presque un demi milliard (450 M€) de fonds propres (contre 1,3 Md€ pour la totalité de 2024).
À noter le poids croissant des investisseurs américains (20%), l’arrivée des investisseurs asiatiques (chinois), visiblement stimulés par les nouvelles venues des Etats-Unis…
On observe également la montée des family offices et des grands business angels, notamment des entrepreneurs qui ré-investissent après un exit.
Un point essentiel mérite d’être souligné : si l’indicateur des levées de fonds demeure central – véritable nerf de la guerre – il ne suffit plus, à lui seul, à refléter pleinement la réalité de notre développement et, ce, pour deux raisons principales :
- La première est que nous avons désormais accès aux financements non dilutifs, à la dette notamment, que ce soit la dette bancaire, les concours de la BPI et, de plus en plus, ceux des fonds de dette. Ceci est une manifestation supplémentaire de notre crédibilité, de notre accès à un statut d’entreprise viable et en croissance.
- La seconde concerne l’autofinancement, qui tend à prendre une place croissante dans le développement de nos fintech, en relais des ressources externes.
Un nombre significatif d’acteurs de notre écosystème s’approchent du cap de la cotation.
Dès 2015, Gabriel avait ouvert la voie avec l’introduction de HiPay.
Plus récemment, Geoffroy et Charles ont suivi cette dynamique avec Younited, introduite en bourse à la fin de l’année dernière.
Il est essentiel que nos grands acteurs n’aient plus besoin de s’exiler aux États-Unis à partir d’un certain stade, comme certains ont pu le faire par le passé (Kyriba, iValua, Dataiku) et que l’écosystème permette d’accompagner le développement de nos champions.
Est-ce à dire que nous sommes arrivés et que le ciel est tout bleu ? Pas tout à fait…
Nous disposons certes déjà de 14 licornes et au delà, mais encore aucun géant de la taille de Revolut, N26, Klarna ou Stripe; nous sommes en bonne voie, mais il ne faut pas tergiverser, car les cartes se redistribuent rapidement. La concentration s’accélère et les Big Tech ne vont pas tarder à revenir dans les modèles financiers …
Nous avons à l’évidence bénéficié ces dernières années d’une prime d’attractivité accordée à la France (nous y avons d’ailleurs me semble-t-il contribué). Mais celle-ci elle a bien fondu depuis un an du fait d’un climat politique et financier délétère. Comme vous le savez, les investisseurs détestent plus que tout l’incertitude et la créativité fiscale. Or, la France tent à redevenir un vaste concours Lépine de l’impôt improbable et de la norme intrusive…
Notre tendance française et européenne à sur-réglementer et sur-normer fait planer une menace sur notre secteur. Alors que la réglementation européenne est déjà la plus contraignante du monde, la France tend à la renforcer encore en sur-transposant et sur-interprétant. Ne nous méprenons pas : nous sommes convaincus que la réglementation est indispensable. Elle peut même être un atout si elle est bien pensée. Mais elle est aussi un formidable outil de concurrence, notamment en matière de localisation. L’arbitrage et le dumping réglementaire font rage dans le monde, et même au sein de l’Union européenne.
À ce sujet, nous réitérons notre invitation au dialogue avec nos amis assureurs au sujet du dossier réglementaire du moment, FIDA, brique essentielle de l’Open finance. Nous avons déjà tenu une session de travail avec nos camarades de France Assureurs pour trouver une position de place commune et des aménagements raisonnables. Nous échangeons déjà avec l’AMF, l’ACPR, la DG Trésor, la DG Fisma. Ne lâchons pas l’affaire, car le temps presse face à la pression des géants anglo-saxons de la tech. Jouons collectif.
Nous rencontrons les plus grandes difficultés à financer des tickets de plus de 100 M€ avec des investisseurs locaux, ce qui explique que la part étrangère du capital de nos champions croît avec leur taille. La cotation en bourse est rendue plus complexe pour les mêmes raisons. Tant que la France ne se résoudra pas à comprendre qu’il est urgent de créer des fonds de capitalisation, nous serons contraints de solliciter des investisseurs venus de loin, ce qui pose à la longue un sujet de souveraineté si cela devient l’unique source.
Cette capitalisation est nécessaire pour financer les entreprises, mais aussi pour valoriser l’épargne des Français (qui est l’une des plus fortes en Europe et pourrait être mieux rémunérée) et protéger leur retraite. Les Français l’ont d’ailleurs bien compris, qui recourent massivement à l’assurance-vie (dont insuffisamment finance l’innovation) et l’immobilier. Et je ne parle même pas du financement de la dette publique. Cette exception française nous fait encourir un véritable danger. Nous ne devons pas fabriquer des champions pour offrir à des investisseurs lointains l’option de les acheter pas cher (car nos valorisations sont nettement plus basses que celles des anglo-saxons).
Le marché de l’emploi, notamment en technologie, peine à fournir nos besoins.
Enfin, les récentes mises en cause des dispositifs de soutien à l’innovation mettent en risque nos entreprises.
Résumons-nous :
- Nous avons réussi à construire en une décennie un secteur d’excellence et comptons dans nos rangs déjà 14 licornes et plusieurs dizaines de champions en puissance.
- Ils ont pour la plupart réussi à s’exporter, en Europe notamment.
- pour autant la source de créativité ne s’est pas tarie, comme en atteste la vigueur persistante de l’amorçage, avec une excellente offre de valeur.
- Nous devons fournir à tous les moyens d’accéder à la taille critique internationale.
- Nous avons clairement un sujet de ressources, financières et humaines, un problème de (petits) riches, mais un problème quand même, comme l’a dit quelqu’un de célèbre…
- Nous avons besoin de stabilité politique, financière, fiscale et réglementaire.
- Enfin, le défi que nous pose l’intelligence artificielle est considérable.
L’IA est en effet entrain de changer le monde.
Elle aura une incidence toute particulière sur les services financiers car la finance, c’est avant tout de la donnée, du calcul, des prévisions et du conseil, toutes fonctionnalités sur lesquelles cette technologie excelle.
Nous n’en sommes qu’au tout début :
- Comme toutes les technologies de ruptures, l’IA est surestimée à court terme et sous-estimée à moyen / long terme.
- Ontologiquement humaine, elle n’est ni bonne ni mauvaise. Elle sera ce que nous en ferons.
Nous devons y veiller.
Tous les défis que j’ai évoqués ne sont pas spécifiques à la fintech. Ils concernent toute la tech française et toutes les entreprises innovantes.
De ce point de vue, on peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein, c’est selon son tempérament.
Pour ma part, j’aimerais attirer votre attention sur un aspect important, essentiel même.
Nos atouts sont nombreux et profonds :
- des compétences académiques exceptionnelles, de classe mondiale en IA, en blockchain et Web3, et pour ce qui concerne un immense sujet de demain, le quantique.
- des infrastructures de grande qualité et des capacités énergétiques décarbonées uniques au monde, ce qui est une condition sine qua non pour la tech. À ce sujet, il est clair qu’on ne pourra pas continuer cette course à l’abîme de consommation d’électricité folle pour les calculs et le stockage. Les solutions d’IA devront être beaucoup plus frugales et proportionnées.
- un cadre réglementaire solide et cohérent (même si un peu lourd).
- des champions nationaux de classe mondiale dans tous les secteurs (ex : défense, santé, luxe). Dans notre secteur, je considère que la présence dans notre pays de grands groupes financiers, banques, assureurs, sociétés de gestion est un immense atout. Ils nous mènent parfois la vie dure – et nous le leur rendons bien – mais nous nous poussons mutuellement à l’excellence. Notre avenir repose sur la coopération, entre nous bien sûr, avec les grands établissements, les pouvoirs publics, les régulateurs, nos camarades européens. Fonctionner en écosystème. En bande même. United !
- notre position, cette année encore de n°1 européen de l’attractivité du continent (mais dans une Europe elle-même moins attractive..).
- l’’accès au premier marché de consommation du monde, avec 450 M de consommateurs, investisseurs à haut niveau de pouvoir d’achat
Nos principales faiblesses, et elles sont très invalidantes, sont le financement des gros tickets, les flottements politiques et la trop lente mobilisation de nos ressources.
Permettez-moi de reformuler tout cela d’une autre façon :
- nos atouts sont uniques au monde, particulièrement adaptés à la révolution technologique qui ne fait que commencer.
Ils prennent une cinquantaine d’années au moins à construire. Ils constituent une formidable barrière à l’entrée, une condition nécessaire, impérative même, mais pas suffisante.
- Nos faiblesses relèvent essentiellement de la volonté politique, de la décision concertée, de la volonté de faire et de réussir.
En un mot, de vision et de courage. Ce n’est pas rien, et cela nous a souvent fait défaut. Mais cela peut être mobilisé en quelques mois.
Les deux moitiés du verre ne sont donc pas de même nature et de même difficulté.
Je suis de ceux, sans doute incorrigiblement optimiste, qui considèrent que la formidable déstabilisation introduite par l’élection américaine et le grand désordre du monde constituent une formidable opportunité pour la France et l’Europe.
Ce gigantesque wake-up call doit être mis à profit.
L’Europe offre un cadre exceptionnel de compétences, de stabilité, d’éthique, de valeurs, unique au monde. La prochaine étape, je l’espère, sera l’Union des marchés de capitaux.
La fintech française veut prendre sa part. Elle est légitime, talentueuse, responsable, reconnue.
Cessons de nous lamenter, de douter, et accélérons.
Conscients de ce qu’il nous reste à faire, de ce qui est important, mais aussi du formidable travail accompli et de notre magnifique potentiel.
Ensemble, unis.
United !
Bon anniversaire la fintech française !
Lire aussi l'interview exclusive d'Alain Clot pour Planet Fintech :
« En 2025, les fintech françaises et européennes feront face à un véritable choc réglementaire »